Une introduction

Vous entrez ici dans un espace
de cogitation et de bricolage anarcho-mutagene.
Un espace expérimental et théorique pour mettre un peu de
sens dessus dessous salutaire dans ce monde malade.
Un champ de bataille conceptuel pour abattre toutes les frontières et révéler la beauté du chaos en tachant d’imaginer quels nouveaux mondes en faire émerger.
Dans ce blog la panique est totale, on démolit les repères avec enthousiasme, tout se mélange joyeusement : l’humanité et l’animalité, la femme et l’homme, le minéral, le végétal et l’animal, le haut et le bas, le nord et le sud, le yin et le yang, le naturel et l’artificiel, le bien et le mal, le beau et le laid, le corps et l’esprit, le dedans et le dehors, la grande danse organique d’un monde qui respire.

Après la tempête, s’il reste encore quelques grandes Valeurs debout ce seront celles de l’instable, du mutant, du bâtard, du mouvant, du transformé, du contaminé, de l’impur, de l’altéré, de l’ambiguë, de l’impermanent, du monstre, du transversal, du modifié, de la belle confusion, du contre-nature qui contrarie le bon sens et fait à tout instant de l’autre chose - du devenir.
Sans jamais perdre de vue, outre le fait que tout cela est extrêmement beau, qu’il s’agit d’un chambardement hautement politique.

Ce monde est malade parce qu’il se rêve stable, équilibré et ordonné, alors qu’il n’existe rien de tel dans cet univers.
Nos sociétés sont malade parce qu’elles veulent s’asseoir sur de l’immuable alors qu’il n’en existe nulle part.


Un monde, c'est, avant tout, ce qui émerge entre notre regard et le réel. Et la perception est un commencement d'action.
Pour "changer le monde", il faut commencer par là.

Sans oublier, bien sûr, la pratique de l’émeute occasionnelle, avant tout par hygiène morale.

mardi 31 juillet 2007

Le Monseigneur contre les hommes lapins.

La grandeur de l'espèce humaine prend l'eau de toute parts.
Si les biotechnologies sont à même de nous apporter autre chose qu'un outils de profit sauvage et de domination pour les grandes sociétés capitalistes et les états policiers, il s'agit bien d'une révolution perceptive comme l'humanité n'en a peu connu. Un nouveau choc, une nouvelle révolution copernicienne qui ne s'attaque non plus seulement à la place des humains dans l'univers mais bien à leur essence mêmes.

Il faut se faire une raison, l'"Homme" n'est plus cet être au-delà de la Nature comme tombée d'un ciel d'absolu. Non, l'être humain est de la chair de l'animal qu'il n'a jamais cessé d'être, plus proche du brin d'herbe qu'il ne pourra jamais l'admettre et fait de nul autre souffle que de la boue dans laquelle il marche. Mais pourquoi donc trouver cela dégradant ?

Notre culture s'est fondée sur la certitude de frontières absolues et indéboulonnables, qui nous mettaient à l'abri du monde et de sa finitude : la vision essentialiste, naturaliste du monde ou nous pouvions nous hisser au-dessus et rêver qu'une place d'exception nous était réservée – destinée. Les nouvelles découvertes et technologies du vivant ont définitivement effacé ces limites imaginaires pour nous rendre à notre chaire et à nos semblables.

Il est sans doute temps que l'humanité abandonne ses amis imaginaires, Dieu ou Nature, et se tourne enfin, adulte, vers l'hypercorps qu'elle partage avec tous les autres êtres vivants de cette terre.
De la même façon que le corps et l'âme ont bien due un jour se retrouver enfin réuni après les millénaires des déchirements douloureux du dogme chrétien, l'humanité se voit à nouveau face à un défi ontologique faramineux : se réconcilier et faire chaire avec le monde et les êtres qui l'entoure. Cette réconciliation faite, ces complexes immatures dépassés, toute la spécificité créatrice humaine saura se déployer, non plus contre une Nature soumise ou ennemie mais enfin AVEC tout cet espace et cette chair du réel que nous nous sommes efforcés pendant des millénaires à tenir à distance - cet espace et cette chair dont nous sommes. En d'autres termes, comme le disait Murray Bookchin, "Notre espèce, dotée de créativité par l'évolution naturelle, pourrait jouer le rôle de la nature devenue consciente."

Il est tout à fait intéressant de voir quelles réactions peuvent déclencher les nouvelles possibilités des sciences du vivant chez toutes sortes d'autorités morales et chez le bon sens populaire moyen. Les mots choisis ne trompent pas : Il s'agit de "sacrilèges", de "crimes contre-nature" de "dignité humaine compromise et offensée". Nous sommes en pleine religiosité de l'humanité. Si la Nature humaine est, par ces bio-bidouillages, sur le point d'être "violé", sur quoi donc se fonde cette nature humaine ? Pourquoi donc la dignité humaine serait compromise et offensée si un embryon d'humain portait 0,1% de matériel génétique de lapin "artificiellement" ajouté ? Il faut d'ailleurs bien savoir que l'on partage, sans bidouillage aucun, avec le lapin bien plus de gènes que ce ridicule 0,1%. Qu'est-ce donc que cette dignité ou ce sentiment d'offense semblant tout droit sorti du vocabulaire des racistes de tout temps s'opposant au mélange sacrilège des Races ?

De quoi s'agit-il donc ?

Le gouvernement britannique a autorisé, jeudi 17 mai 2007, la création d'embryons hybrides humain-animal pour la recherche. Ces embryons auront 99,9% d'humain et 0,1% d'animal (lapin, vache...). La loi leur autorise une durée de vie de 14 jours et interdit leur implantation dans l'utérus (cf. Synthèse du 2/04/07).

Mgr Elio Sgreccia, président de l'Académie pontificale pour la vie, a violemment attaqué la création de ces embryons composés de matériel génétique humain et animal. "La création d'un hybride homme-animal est une frontière qui avait été interdite, jusqu'à aujourd'hui, et par tous, dans le domaine des biotechnologies." "Et cela, justement parce que la dignité humaine est compromise, offensée, et qu'on peut ensuite créer des monstruosités à travers ces fécondations." Il a ajouté que "la création d'un être homme-animal représente une frontière violée dans le domaine de la nature, la plus grave", ce qui entraine une condamnation morale totale. Pour lui, "l'homme (doit) pouvoir faire face - avec confiance - à ces frontières". Dit de cette façon, on comprend que ce que risque de perdre l'humanité ici avant tout, c'est la confiance que lui confère cette exteriorité fictive. Se trouver une trop grande proximité avec la vache qu'il mange serait sans aucun doute excessivement traumatisant.

Mgr Sgreccia accuse encore les scientifiques de ne pas prendre "en considération les éléments anthropologiques et philosophiques, comme le respect de la nature même et de l'ordre naturel". Il veut mettre en garde contre "une soif de savoir", "une soif d'expérimentation qui peut renverser le sens moral de l'expérimentation" si elle n'est pas contrôlée "par un sens de l'équilibre et de la raison humaine".

Oui, un "sens moral" est sur le point d'être renversé, et bien au-delà des laboratoires, c'est bien ça qui l'effraye le plus ce brave ecclésiastique. Mgr Sgreccia n'a malheureusement pas là un discours réservé aux catéchèses, cette répulsion haineuse se retrouve fréquemment sans complexe dans les discours de philosophes humanistes déclaré athée.
Aucun argument, aussi irrationnel soit-il, ne fera reculer les gardiens du temple de l'humanité, ce qui est en jeu ici est énorme, car il s'agit d'une remise en question radicale des valeurs qui fondent les pouvoirs et les hiérarchies. Soyons en sûr, fondamentalement, cet humain doté de 0,1% de gène de lapin est une révolution anarchiste de toute beauté.

Nietzsche disait que Dieu était mort, enfin aujourd'hui nous pouvons dire que l'humanité aussi est morte, et, par la force des choses, la Nature est morte avec elle. Soyez en sûr nous ne devrions que mieux nous en porter si nous comprenons ce que cela implique réellement.

Le cyborg et la frontière entre l'individu et ses outils.

Avec toutes nos prothèses externes, telles que nos ordinateurs et internet, nos téléphones portables, ou même les automobiles, nous sommes d'ores et déjà des cyborgs, même si ces excroissances ne sont pas encore intégrées à notre chair. Il s'agit d'extensions artificielles pour optimiser notre action sur le monde, ces outils utilisés au quotidien peuvent sans problème être considéré comme des prolongements de notre être au même titre que nos propres membres. Même sans parler des pacemakers et autres prothèses médicales, toutes sortes d'électronique pratique ou de confort ne devraient pas tarder à passer la frontière de notre peau. Les prothèses externes se miniaturisent de plus en plus et se rapprochent toujours plus de notre corps, comme, par exemple, ces téléphones portables miniatures qui se fixent autour de l'oreille. Il n'y a qu'un pas avant que certains composants du téléphone soient insérés dans le lobe de l'oreille, aussi facilement que pour une boucle d'oreille installée au pistolet. En moins réjouissant (si le précédent l'était) les puces d'identification greffées sous la peau de chaque citoyen-ne sont aussi sérieusement envisagées. La technologie est déjà au point et n'attend plus qu'une bonne occasion d'être mise en pratique.

La frontière entre nos corps et nos outils sera encore moins nette lorsque se développeront toutes les technologies de bioélectronique. L'usage de composants biologiques dans la micro-informatique est la prochaine étape pour la miniaturisation et l'accroissement des capacités de nos machines. A la question « quelle sera la musique de demain » le musicien Richard Pinhas répond : «De même qu'il y a eu l'analogique puis le digital, on assistera a une mutation "bio-organique" silico-neuronales des machines et interfaces à produire des sons. Comme on est passé du carbone au silicium, nous allons passer du silicium au "Neuronium". Des réseaux de neuronium(s) ! On obtiendra alors des cyborg-mutants qui écouteront une musique produite par des neurones sonores en réseaux.» Et d'ici qu'un bio-iPod puisse s'intégrer à notre cerveau puis être ajouté à notre génome, et ainsi devenir héréditaire, il ne restera plus la moindre trace de frontière entre l'outil et l'individu. On pourrait même oublier après quelques générations ce qui est "d'origine" et ce qui a été ajouté par des biais technologiques parmi nos qualités "innées".
Même si la reprogrammation génétique humaine reste encore pour le moment de la science-fiction et que les techniques semblent encore relativement loin d'être acquises, il est clair maintenant que ces "prodiges" sont accessibles. Ce n'est qu'une question de temps.
Un obstacle supplémentaire, autre que technologique, pour la "mutation" cybernétique de l'espèce humaine sera plutôt d'ordre psychologique et culturel. Mais, avec le temps, on trouvera toujours de bonnes raisons de changer nos points de vue pour finir par penser comme le personnage central d'"Isolation" de Greg Egan : "Pensez-vous honnêtement que le câblage de notre cerveau, qui nous vient de la sélection naturelle, des aléas de notre vie et de nos efforts - en grande partie inefficaces - pour nous changer "naturellement" est un parangon de perfection ? D'accord, nous avons passé des milliers d'années à inventer des raisons religieuses et pseudo-scientifiques ridicules pour que ce que nous ne pouvions pas contrôler nous semble pour le mieux dans le meilleur des mondes. Dieu a dû faire un travail parfait - et si ce n'est pas Dieu, c'est l'évolution ; dans les deux cas, toute altération serait un sacrilège. Et ça va prendre longtemps pour que notre culture s'extirpe de toutes ces conneries. Mais regardez la vérité en face : toutes ces excuses dépassées ne servaient qu'à nous éviter de désirer ce que nous ne pouvions pas obtenir."
Et bientôt, si les civilisations technologiques perdurent, nous pourrons l'obtenir.
Il ne s'agit pas ici de s..enthousiasmer pour les progrès technologiques ni de les dénoncer mais de simplement constater que ces choses entrent dans le champ des possibles. Et il y a inévitablement des leçons à tirer de ces réalités sur notre compréhension du réel et notre vision indécrottablement essentialiste des choses de la vie.


Tissu Culture & Art.

Les manipulations technologiques amènent aussi les scientifiques à créer (ou découvrir) des états de la matière jusque-là inédits comme pour les réseaux de neuronium. Ou tout au moins à en mettre certains états, préexistants mais n'entrant dans aucune catégorie, en évidence. Avec la culture de tissu, on pourra aussi se faire cultiver des organes de rechange en dehors de notre corps à partir d'une simple cellule, et c'est encore les limites intimes de l'individu qui seront remises en cause. Ce sont des frontières entre des états et des catégories qui nous semblaient pourtant indéboulonnables, comme les frontières entre le vivant et le non-vivant. Le collectif TC&A a travaillé sur la notion d'entités semi-vivantes (Tissu Culture & Art - Oron Catts, Ionat Zurr & Guy Ben-Ary). «Cette émergence d'une nouvelle catégorie d'êtres/objets, située sur la ligne de fracture de nos visions dichotomiques du continuum de la vie, pourrait devenir de plus en plus évidente à mesure qu'augmentent nos capacités de manipulation du vivant. Puisque ces créations seront dotées de plus ou moins de vie et de sensibilité, nous établirons de nouvelles relations avec nos objets, notre environnement et avec le concept même de vie. Des parties de notre corps (actuellement de simples fragments) pourront êtres maintenues hors de nous comme des entités autonomes indépendantes. Quelles sortes de relations allons-nous établir avec ces entités ? En prendrons-nous soin ou en abuserons-nous ? Où les entités semi-vivantes vont-elles être situées dans le continuum de la vie, et comment cela affectera-t-il notre système de valeurs concernant les organismes vivants, y compris notre propre corps (malade et sain) et notre conception du moi.»