Une introduction

Vous entrez ici dans un espace
de cogitation et de bricolage anarcho-mutagene.
Un espace expérimental et théorique pour mettre un peu de
sens dessus dessous salutaire dans ce monde malade.
Un champ de bataille conceptuel pour abattre toutes les frontières et révéler la beauté du chaos en tachant d’imaginer quels nouveaux mondes en faire émerger.
Dans ce blog la panique est totale, on démolit les repères avec enthousiasme, tout se mélange joyeusement : l’humanité et l’animalité, la femme et l’homme, le minéral, le végétal et l’animal, le haut et le bas, le nord et le sud, le yin et le yang, le naturel et l’artificiel, le bien et le mal, le beau et le laid, le corps et l’esprit, le dedans et le dehors, la grande danse organique d’un monde qui respire.

Après la tempête, s’il reste encore quelques grandes Valeurs debout ce seront celles de l’instable, du mutant, du bâtard, du mouvant, du transformé, du contaminé, de l’impur, de l’altéré, de l’ambiguë, de l’impermanent, du monstre, du transversal, du modifié, de la belle confusion, du contre-nature qui contrarie le bon sens et fait à tout instant de l’autre chose - du devenir.
Sans jamais perdre de vue, outre le fait que tout cela est extrêmement beau, qu’il s’agit d’un chambardement hautement politique.

Ce monde est malade parce qu’il se rêve stable, équilibré et ordonné, alors qu’il n’existe rien de tel dans cet univers.
Nos sociétés sont malade parce qu’elles veulent s’asseoir sur de l’immuable alors qu’il n’en existe nulle part.


Un monde, c'est, avant tout, ce qui émerge entre notre regard et le réel. Et la perception est un commencement d'action.
Pour "changer le monde", il faut commencer par là.

Sans oublier, bien sûr, la pratique de l’émeute occasionnelle, avant tout par hygiène morale.

lundi 27 août 2007

Abeille psychédélique.

J’ai beaucoup hésité avant de mettre ce qui suit en ligne, parce qu’il est vrai que je prends certains risques en en parlant ouvertement de cette façon. Aussi surprenant que cela puisse paraître, j’ai évité de trop me renseigner sur les risques que je prenais face aux lois concernant la dissémination d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement. Ceci avant tout pour ne pas décourager mon projet.
Par chance il y a encore beaucoup de vides juridiques dans ce domaine, sachant tout de même que selon un projet de loi (transposition des directives 90/219/CEE3, 98/81/CE4 et 2001/18/CE5), toute dissémination d’OGM dans l’environnement à des fin expérimentales n’est autorisée qu’après consultation du publique et évaluation des incidences (comme si ce genre de chose était sérieusement évaluable et que le "publique" avait la moindre idée des implications et des conséquences de la recherche génétique). Tout cela reste très flou et rien n’est clairement établi. Rien d'étonnant à cela vu les intérêts économiques généralement en jeu avec les biotechnologies.
Quoi qu’il en soit si l’on veut faire œuvre pionnière, il faut souvent accepter le risque d’en payer un prix.
Quant à la législation sur les drogues, j’imagine qu’elle sera tout à fait dépassée par le cas de figure présent.

Je suis donc heureux de vous présenter un projet abouti, une splendide réussite, issu de la magie du génie génétique… je parle de la création d’une nouvelle race d’abeille : Une abeille psychédélique. En d'autres termes, une abeille aux piqûres hallucinogènes !

L’idée est de moi, mais la conception est due principalement à deux bio-hackers du mouvement biopunk que j’ai rencontré en premier lieu sur l’internet (selon leurs vœux ils resteront anonymes). Cette réalisation est une première étape dans mon projet bio-artistique "BeeQueen Orchid" qui inclura la création d’hybrides et symbiotes d’orchidées et d’abeilles psychédélique. Un projet expérimental important travaillant autour des questions de la plasticité du vivant et la multiplicité/instabilité de la perception. Un hommage aussi au professeur Timothy Leary et son rêve de "Courriers Cosmiques" pour sauver le monde en changeant, grâce au LSD, notre perception de celui-ci.

J’ai pu travailler directement avec les bio-hackers, mais ma participation technique s’est limitée à appuyer sur des bouton de mixers ou secouer des boîtes quand on me le demandait. Ma compréhension des processus exécutés à été, je l’avoue, très limité, mais j’ai tout de même pu apprendre plein de choses passionnantes. Ce qui m’a le plus étonné c’est l’apparente simplicité et, finalement, le peu de moyen sollicité pour l’ensemble de l’opération.

La première étape a consisté à inventer un assemblage moléculaire puissamment hallucinogène, un "venin" proche de l’acide lysergique -LSD 25- ou plus précisément inspiré de son origine biologique, l’ergot de seigle. Avant tout il devait pouvoir être synthétisé par la glande à venin de notre abeille transgénique. Ma participation à cette étape s’est exclusivement limitée au rôle de "goûteur", ce qui, je vous assure, n’a pas toujours été de tout repos, mais fut tout de même souvent un véritable ravissement.

Dans un deuxième temps, nous avons pu créer l’abeille.
Il s’agit d’une tambouille en grande partie mijotée dans une cuisine classique. Pour faire cela nous avons tout d’abord extrait de l’ADN d’abeille, plus précisément des dards et des glandes à venin (beaucoup) que nous avons broyé dans un mixer. À partir de cette pâte, nous avons pu obtenir de l’ADN pur par un ensemble de réactions chimiques très simples à réaliser. Ensuite il nous a fallu identifier précisément le gène impliqué dans la production du venin. Il faut pour cela analyser les échantillons à l’aide d’un appareil spécialisé dans le décryptage du code génétique, celui-ci exécute l’opération automatiquement. Les données sont ensuite interprétées par des bio-logiciels-libres développés dans les réseaux hackers.

Jusqu’à il a encore trois ou quatre ans, les bio-hackers devaient en général passer par des sociétés spécialisées pour le décryptage (les sociétés en question ne posaient de toute façon jamais de questions embarrassantes), mais ils sont maintenant globalement bien équipés. Les réseaux permettent aussi de mettre en commun le matériel le plus onéreux.

C’est alors l’étape la plus compliqué, qui consiste à implanter un gène artificiel qui modifiera – par interaction – la procédure interne de la production du venin afin d’obtenir le composé chimique désiré. Cette étape est la plus longue car elle procède par tâtonnements fastidieux. Une fois le tour de passe-passe réussi il s’agit de dupliquer le gène ainsi modifié pour ensuite en faire une solution qui sera incorporée à des cellules de sperme de bourdon déshydratées.

Pour finir une grande quantité de reines des abeilles ont été inséminées artificiellement les unes après les autres avec des méthodes d’apiculteurs qui ne doivent rien à la boitech moderne. Il y a tout de même beaucoup de déchets, d’où la quantité de reines utilisées.

Maintenant les ouvrières nées de cette manipulation possèdent, dans leur génome, la réplique du gène modifié et sont ainsi d’une efficacité psychédélique absolument redoutable.
Au bout de quelques saisons les neuf ruches installées en France, en Allemagne et en Autriche auront sans aucun doute suffisamment généré de colonies à travers l’Europe pour ne plus être du tout maîtrisable. De plus de nouvelles ruches seront installées en des lieux stratégiques au printemps prochain.

Qu’un rêve tel que celui-ci prenne réalité est une expérience tout à fait excitante. La prochaine étape du projet "BeeQueen Orchid" sera la création de l’orchidée. Elle aura des couleurs d’abeille et produira un suc tout aussi hallucinogène. Elle poussera autour des ruches de nos abeilles psychédéliques et aura avec celles-ci des relations exclusives et très singulières. Je ne peux en dire plus pour l’instant et sans doute faudra-t-il créer un nouveau type d’abeilles pour cette orchidée.

Mais surtout, à l’arrivée je veux du miel !

A suivre…

dimanche 26 août 2007

La Fleur de Viande

Flower Power

On fête actuellement les 40 ans du Flower Power.
Nostalgie ?
Soyez sûrs que si vous voulez bien à nouveau nous trouver du LSD 25 de qualité à profusion, on se remettra immédiatement au travail, mais l’on vous fera cette fois des fleurs bien plus vénéneuses.

samedi 11 août 2007

vendredi 3 août 2007

Perspectives culinaires, vestimentaires et immobilières de la culture de tissus.


Autophagie biotechnologiquement assistée


La culture de tissus est une grande avancée des biotechnologies, pour ce qui est, avant tout bien sûr, de la gastronomie sans mort et sans souffrance.
Dans leur performance visionnaire "Cuisine Désincarnée", le collectif d'artistes australiens TC&A (Tissue Culture & Art) a opéré une biopsie sur une grenouille pour ensuite cultiver les cellules dans un bioreacteur. Une fois le processus lancé, la croissance est infinie tant que le "steak" se trouve dans le bioréacteur. Cette performance a été présentée en France à Nantes au "Lieu Unique" de mars à mai 2003 pour l'exposition collective intitulée "L'Art Biotech'". Un repas de "viande sans victime" a été organisé en fin d'exposition en présence de la donneuse involontaire qui n'a pas eu l'air particulièrement dégoûté, même si elle aurait sans doute préféré être en train de barboter tranquillement dans son étang.

Une étudiante vegan du cours Vivoart du groupe TC&A a décidé d'aller plus loin dans l'expérience : "Elle a suggéré de prélever une biopsie de ses propres cellules, plutôt que d'infliger un stress physique et psychologique (même temporaire) à un autre animal.
Inaugurant ainsi l’autophagie biotechnologiquement assistée.

Il s’agit là dune véritable révolution. Nous pouvons, dorénavant, nous faire prélever quelques cellules à la naissance puis, avec notre bioréacteur portable personnel, avoir, jusqu'à la fin de nos jours, le loisir de déguster nos tendres stecks de bébé à volonté et partager cette chair intime avec nos amant-e-s et ami-e-s.


Henri Michaux pionnier de la culture de tissus.

"Ne plus passer par le veau pour le fois de veau. Ne plus former des veaux. Ne plus avoir à les mener brouter, à les faire naître, à les tuer, ne plus avoir à faire apparaître et disparaître des personnalités de veaux.
Une seule et unique fois, il y a longtemps déjà, on tua un veau - on recueillit son foie, on le cultiva, lui trouva un milieu convenable et maintenant il se développe en masses infinies."
"Au Pays de la magie" Henri Michaux (1942).


Une mode sur mesure pour se sentir bien dans sa peau.

Vous ne vous nourrissez déjà plus que de votre propre chair cultivée en bioréacteur. Bientôt vous pourrez entièrement vous vêtir de créations en tissus cultivés à partir de cellules de votre peau. En contrôlant la production de mélanine nous pouvons vous proposer toute une gamme de coloris différents. Vêtement d'été de fines peaux aux pores dilatés, vêtement d'hivers bien en chair ou des chaussures à la corne souple mais résistante... Une garde-robe quasiment inusable, autorégénérative, pour vous sentir bien dans votre peau.


Home sweet home.

Le meilleur habitat pour se sentir vraiment chez soi.
La structure solide de votre maison faite à partir de culture de vos propres cellules osseuses, des grands panneaux translucides en kératine laissent pénétrer une belle lumière diffuse dans votre salon, les grains de peaux les plus doux tapissent les murs de cette demeure si personnelle, entièrement meublée de votre chair et de vos os. Quel plaisir de pouvoir s'assoupir confortablement allongé sur un sofa à la peau de pêche gonflée de vos moelleux lipides. Un environnement de rêve, bien entendu parfaitement biocompatible avec votre organisme (finies les allergies en tout genre), qui se maintient été comme hivers à votre température idéale. Vous êtes ici chez vous de la cave au grenier jusqu'au bout des ongles et bientôt, soyez en sûr, vous parlerez de votre maison à la première personne du singulier.

mercredi 1 août 2007

Pour une évolution ruisselante

En lisant des articles de vulgarisation sur l'évolution biologique, j'ai été frappé par la récurrence de termes belliqueux pour décrire les processus en oeuvre. Une pareille lecture de l'histoire de la vie n'aide certainement pas à avoir un rapport serein au monde. Puisque les technologies du vivant et leurs idéologues jusqu'au-boutistes, les transhumanistes, veulent prendre la relève de la "Sélection Naturelle" ils adoptent du même coup le cynisme qu'ils prêtent à cette dernière.


Beaucoup de concepts scientifiques que l'on voudrait idéologiquement neutres et objectifs sont en fait chargés de toutes sortes de valeurs et d'imaginaires. Il est très compliqué de s'en débarrasser car bien souvent ces imaginaires et ces valeurs sont suggérés par les mots mêmes qui désignent les phénomènes que l'on voudrait décrire. Le simple fait d'utiliser ces mots orientera déjà un peu notre regard.
En particulier l'"Évolution" évoque un énorme jeu de massacre sans pitié dirigée par la "Sélection Naturelle". Dans l'idée de "sélection naturelle", on voit d'abord l'organisme évoluant comme soumit à une instance supérieure qui validera ou rejettera ses propositions. C'est un examen permanent où, dans le pire des cas de mauvais résultat, l'organisme candidat sera totalement supprimé. La "Sélection Naturelle" est l'autorité sans pitié qui ne gardera que les meilleurs éléments pour que l'entreprise soit compétitive. On voit clairement ici comment les mots sont chargés idéologiquement et induiront inconsciemment certaines conceptions de la vie. En l'occurrence, un cauchemar ultralibéraliste sauvage absolu.

Je pense qu'il y a des moyens de voir et de décrire le phénomène de l'évolution d'une façon moins belliqueuse. Ce qui nous aiderait peut-être à développer un rapport au monde moins destructeur.
Si l'on désire réfléchir sur "la vie comme elle va" il me semble que l'on ne peut pas faire l'économie d'une profonde réflexion sur les mots et sur les imaginaires qui leurs sont de près ou de loin rattaché, car on ne peut pas agir sur le monde sans commencer par le décrire, le parler, le conceptualiser.

François Jacob, dans "Le Jeu des Possibles", parle pour l'évolution de "bricolage" dans le sens ou rien n'est prémédité, aucun plan n'a été établi par avance (comme pour le travail de l'ingénieur) et tout est créé à partir de ce qui était là avant. Mais cette image me gêne encore, car même si ce bricoleur se laisse porter par les opportunités, c'est toujours dans notre imagination l'image d'une conscience dirigeante (même à très court terme) qui s'impose. Et en fin de compte c'est encore la "Sélection Naturelle" qui validera ou rejettera sans états d'âme les propositions du bricoleur.

Ça pose encore problème de dire par exemple que le cours des choses est "indifférent" à notre sort, ça laisse un peu entendre que celui-ci a des préoccupations supérieures et que nous ne sommes que des moyens parmi d'autres pour atteindre un but qui nous dépasse.

On gagnerait bien sûr à décrire l'évolution autrement, associer un autre imaginaire à cette dynamique.
Une image me vient à l'esprit qui pourrait m'aider à ressentir le phénomène de l'évolution biologique autrement :
Le ruisseau, puis la rivière, puis le fleuve, avancent dans le sens où ça coule le mieux, là où il y aura le moins de résistances. Une succession d'obstacles, d'inclinaisons, de resserrements, d'infiltrations et autres évènements topographiques détermineront le dessin du parcours, le débit, l'étalement et la mer où ce cours d'eau prendra fin. Aucune guerre là-dedans, aucune tyrannie, juste de l'eau qui coule, dont la forme et le mouvement se modifient selon l'environnement et qui du même coup modifie aussi cet environnement. Voir l'évolution sous cet angle-là est infiniment plus apaisant, il me semble. Une évolution ruisselante.

Cette image pourrait être bien mieux développé et le même principe pourrait être appliqué à beaucoup d'autres choses. Je crois de plus en plus qu'on ne pensera jamais la politique intelligemment si l'on ne réfléchit pas d'abord à l'imaginaire, à la perception, aux grilles de lectures à plusieurs étages.
La culture est toujours en amont de la politique.

mardi 31 juillet 2007

Le Monseigneur contre les hommes lapins.

La grandeur de l'espèce humaine prend l'eau de toute parts.
Si les biotechnologies sont à même de nous apporter autre chose qu'un outils de profit sauvage et de domination pour les grandes sociétés capitalistes et les états policiers, il s'agit bien d'une révolution perceptive comme l'humanité n'en a peu connu. Un nouveau choc, une nouvelle révolution copernicienne qui ne s'attaque non plus seulement à la place des humains dans l'univers mais bien à leur essence mêmes.

Il faut se faire une raison, l'"Homme" n'est plus cet être au-delà de la Nature comme tombée d'un ciel d'absolu. Non, l'être humain est de la chair de l'animal qu'il n'a jamais cessé d'être, plus proche du brin d'herbe qu'il ne pourra jamais l'admettre et fait de nul autre souffle que de la boue dans laquelle il marche. Mais pourquoi donc trouver cela dégradant ?

Notre culture s'est fondée sur la certitude de frontières absolues et indéboulonnables, qui nous mettaient à l'abri du monde et de sa finitude : la vision essentialiste, naturaliste du monde ou nous pouvions nous hisser au-dessus et rêver qu'une place d'exception nous était réservée – destinée. Les nouvelles découvertes et technologies du vivant ont définitivement effacé ces limites imaginaires pour nous rendre à notre chaire et à nos semblables.

Il est sans doute temps que l'humanité abandonne ses amis imaginaires, Dieu ou Nature, et se tourne enfin, adulte, vers l'hypercorps qu'elle partage avec tous les autres êtres vivants de cette terre.
De la même façon que le corps et l'âme ont bien due un jour se retrouver enfin réuni après les millénaires des déchirements douloureux du dogme chrétien, l'humanité se voit à nouveau face à un défi ontologique faramineux : se réconcilier et faire chaire avec le monde et les êtres qui l'entoure. Cette réconciliation faite, ces complexes immatures dépassés, toute la spécificité créatrice humaine saura se déployer, non plus contre une Nature soumise ou ennemie mais enfin AVEC tout cet espace et cette chair du réel que nous nous sommes efforcés pendant des millénaires à tenir à distance - cet espace et cette chair dont nous sommes. En d'autres termes, comme le disait Murray Bookchin, "Notre espèce, dotée de créativité par l'évolution naturelle, pourrait jouer le rôle de la nature devenue consciente."

Il est tout à fait intéressant de voir quelles réactions peuvent déclencher les nouvelles possibilités des sciences du vivant chez toutes sortes d'autorités morales et chez le bon sens populaire moyen. Les mots choisis ne trompent pas : Il s'agit de "sacrilèges", de "crimes contre-nature" de "dignité humaine compromise et offensée". Nous sommes en pleine religiosité de l'humanité. Si la Nature humaine est, par ces bio-bidouillages, sur le point d'être "violé", sur quoi donc se fonde cette nature humaine ? Pourquoi donc la dignité humaine serait compromise et offensée si un embryon d'humain portait 0,1% de matériel génétique de lapin "artificiellement" ajouté ? Il faut d'ailleurs bien savoir que l'on partage, sans bidouillage aucun, avec le lapin bien plus de gènes que ce ridicule 0,1%. Qu'est-ce donc que cette dignité ou ce sentiment d'offense semblant tout droit sorti du vocabulaire des racistes de tout temps s'opposant au mélange sacrilège des Races ?

De quoi s'agit-il donc ?

Le gouvernement britannique a autorisé, jeudi 17 mai 2007, la création d'embryons hybrides humain-animal pour la recherche. Ces embryons auront 99,9% d'humain et 0,1% d'animal (lapin, vache...). La loi leur autorise une durée de vie de 14 jours et interdit leur implantation dans l'utérus (cf. Synthèse du 2/04/07).

Mgr Elio Sgreccia, président de l'Académie pontificale pour la vie, a violemment attaqué la création de ces embryons composés de matériel génétique humain et animal. "La création d'un hybride homme-animal est une frontière qui avait été interdite, jusqu'à aujourd'hui, et par tous, dans le domaine des biotechnologies." "Et cela, justement parce que la dignité humaine est compromise, offensée, et qu'on peut ensuite créer des monstruosités à travers ces fécondations." Il a ajouté que "la création d'un être homme-animal représente une frontière violée dans le domaine de la nature, la plus grave", ce qui entraine une condamnation morale totale. Pour lui, "l'homme (doit) pouvoir faire face - avec confiance - à ces frontières". Dit de cette façon, on comprend que ce que risque de perdre l'humanité ici avant tout, c'est la confiance que lui confère cette exteriorité fictive. Se trouver une trop grande proximité avec la vache qu'il mange serait sans aucun doute excessivement traumatisant.

Mgr Sgreccia accuse encore les scientifiques de ne pas prendre "en considération les éléments anthropologiques et philosophiques, comme le respect de la nature même et de l'ordre naturel". Il veut mettre en garde contre "une soif de savoir", "une soif d'expérimentation qui peut renverser le sens moral de l'expérimentation" si elle n'est pas contrôlée "par un sens de l'équilibre et de la raison humaine".

Oui, un "sens moral" est sur le point d'être renversé, et bien au-delà des laboratoires, c'est bien ça qui l'effraye le plus ce brave ecclésiastique. Mgr Sgreccia n'a malheureusement pas là un discours réservé aux catéchèses, cette répulsion haineuse se retrouve fréquemment sans complexe dans les discours de philosophes humanistes déclaré athée.
Aucun argument, aussi irrationnel soit-il, ne fera reculer les gardiens du temple de l'humanité, ce qui est en jeu ici est énorme, car il s'agit d'une remise en question radicale des valeurs qui fondent les pouvoirs et les hiérarchies. Soyons en sûr, fondamentalement, cet humain doté de 0,1% de gène de lapin est une révolution anarchiste de toute beauté.

Nietzsche disait que Dieu était mort, enfin aujourd'hui nous pouvons dire que l'humanité aussi est morte, et, par la force des choses, la Nature est morte avec elle. Soyez en sûr nous ne devrions que mieux nous en porter si nous comprenons ce que cela implique réellement.

Le cyborg et la frontière entre l'individu et ses outils.

Avec toutes nos prothèses externes, telles que nos ordinateurs et internet, nos téléphones portables, ou même les automobiles, nous sommes d'ores et déjà des cyborgs, même si ces excroissances ne sont pas encore intégrées à notre chair. Il s'agit d'extensions artificielles pour optimiser notre action sur le monde, ces outils utilisés au quotidien peuvent sans problème être considéré comme des prolongements de notre être au même titre que nos propres membres. Même sans parler des pacemakers et autres prothèses médicales, toutes sortes d'électronique pratique ou de confort ne devraient pas tarder à passer la frontière de notre peau. Les prothèses externes se miniaturisent de plus en plus et se rapprochent toujours plus de notre corps, comme, par exemple, ces téléphones portables miniatures qui se fixent autour de l'oreille. Il n'y a qu'un pas avant que certains composants du téléphone soient insérés dans le lobe de l'oreille, aussi facilement que pour une boucle d'oreille installée au pistolet. En moins réjouissant (si le précédent l'était) les puces d'identification greffées sous la peau de chaque citoyen-ne sont aussi sérieusement envisagées. La technologie est déjà au point et n'attend plus qu'une bonne occasion d'être mise en pratique.

La frontière entre nos corps et nos outils sera encore moins nette lorsque se développeront toutes les technologies de bioélectronique. L'usage de composants biologiques dans la micro-informatique est la prochaine étape pour la miniaturisation et l'accroissement des capacités de nos machines. A la question « quelle sera la musique de demain » le musicien Richard Pinhas répond : «De même qu'il y a eu l'analogique puis le digital, on assistera a une mutation "bio-organique" silico-neuronales des machines et interfaces à produire des sons. Comme on est passé du carbone au silicium, nous allons passer du silicium au "Neuronium". Des réseaux de neuronium(s) ! On obtiendra alors des cyborg-mutants qui écouteront une musique produite par des neurones sonores en réseaux.» Et d'ici qu'un bio-iPod puisse s'intégrer à notre cerveau puis être ajouté à notre génome, et ainsi devenir héréditaire, il ne restera plus la moindre trace de frontière entre l'outil et l'individu. On pourrait même oublier après quelques générations ce qui est "d'origine" et ce qui a été ajouté par des biais technologiques parmi nos qualités "innées".
Même si la reprogrammation génétique humaine reste encore pour le moment de la science-fiction et que les techniques semblent encore relativement loin d'être acquises, il est clair maintenant que ces "prodiges" sont accessibles. Ce n'est qu'une question de temps.
Un obstacle supplémentaire, autre que technologique, pour la "mutation" cybernétique de l'espèce humaine sera plutôt d'ordre psychologique et culturel. Mais, avec le temps, on trouvera toujours de bonnes raisons de changer nos points de vue pour finir par penser comme le personnage central d'"Isolation" de Greg Egan : "Pensez-vous honnêtement que le câblage de notre cerveau, qui nous vient de la sélection naturelle, des aléas de notre vie et de nos efforts - en grande partie inefficaces - pour nous changer "naturellement" est un parangon de perfection ? D'accord, nous avons passé des milliers d'années à inventer des raisons religieuses et pseudo-scientifiques ridicules pour que ce que nous ne pouvions pas contrôler nous semble pour le mieux dans le meilleur des mondes. Dieu a dû faire un travail parfait - et si ce n'est pas Dieu, c'est l'évolution ; dans les deux cas, toute altération serait un sacrilège. Et ça va prendre longtemps pour que notre culture s'extirpe de toutes ces conneries. Mais regardez la vérité en face : toutes ces excuses dépassées ne servaient qu'à nous éviter de désirer ce que nous ne pouvions pas obtenir."
Et bientôt, si les civilisations technologiques perdurent, nous pourrons l'obtenir.
Il ne s'agit pas ici de s..enthousiasmer pour les progrès technologiques ni de les dénoncer mais de simplement constater que ces choses entrent dans le champ des possibles. Et il y a inévitablement des leçons à tirer de ces réalités sur notre compréhension du réel et notre vision indécrottablement essentialiste des choses de la vie.


Tissu Culture & Art.

Les manipulations technologiques amènent aussi les scientifiques à créer (ou découvrir) des états de la matière jusque-là inédits comme pour les réseaux de neuronium. Ou tout au moins à en mettre certains états, préexistants mais n'entrant dans aucune catégorie, en évidence. Avec la culture de tissu, on pourra aussi se faire cultiver des organes de rechange en dehors de notre corps à partir d'une simple cellule, et c'est encore les limites intimes de l'individu qui seront remises en cause. Ce sont des frontières entre des états et des catégories qui nous semblaient pourtant indéboulonnables, comme les frontières entre le vivant et le non-vivant. Le collectif TC&A a travaillé sur la notion d'entités semi-vivantes (Tissu Culture & Art - Oron Catts, Ionat Zurr & Guy Ben-Ary). «Cette émergence d'une nouvelle catégorie d'êtres/objets, située sur la ligne de fracture de nos visions dichotomiques du continuum de la vie, pourrait devenir de plus en plus évidente à mesure qu'augmentent nos capacités de manipulation du vivant. Puisque ces créations seront dotées de plus ou moins de vie et de sensibilité, nous établirons de nouvelles relations avec nos objets, notre environnement et avec le concept même de vie. Des parties de notre corps (actuellement de simples fragments) pourront êtres maintenues hors de nous comme des entités autonomes indépendantes. Quelles sortes de relations allons-nous établir avec ces entités ? En prendrons-nous soin ou en abuserons-nous ? Où les entités semi-vivantes vont-elles être situées dans le continuum de la vie, et comment cela affectera-t-il notre système de valeurs concernant les organismes vivants, y compris notre propre corps (malade et sain) et notre conception du moi.»